"Hhhhhhhhh !"
De l'air dans ses poumons. Elle a tellement cherché cet air, tandis qu'elle s'étouffait dans son propre sang, en écoutant le chevalier de la mort Vaillefendre exposer ses projets pour elle. Elle ne pensait pas pouvoir inspirer à nouveau un jour, et pourtant.
"Ffffffffff!"
Une première expiration. Est-ce cela, la vie?
"Hhhhhhhhh !"
Une seconde inspiration. En même temps que sa vie, ses sens se réveillent. Elle sent l'odeur de putréfaction tout autour d'elle. Stratholme, encore? Il n'y pas cette odeur de fumée et de cendre. Elle écoute...Un brouhaha, des paroles qu'elle ne comprend pas, lointaines. Des bruits d'armes qui s'entrechoquent, des cris si horribles qu’ils ne peuvent être que d'agonie.
"Fffffffff !"
Elle ouvre des yeux fermés depuis trop longtemps. La lumière n'est pas très forte, mais suffit à l'aveugler. Il y a une silhouette penchée sur elle. Ses yeux s'habituent peu à peu, le visage devient plus net. Une peau claire, tirant sur le bleu. Des yeux en amande, lumineux. Des cornes qui s'échappent de sa chevelure noire.
"Hhhhhhhh!"
De l'air, vite. Il en faut pour réveiller sa voix éteinte. C'est un murmure qui s'échappe des lèvres entrouvertes de la naine encore faible, à peine audible. Un seul mot, une seule question.
"Gelb?"
"Et bien les nains ne sont plus ce qu’ils étaient ma petite Prunille ! Je te croyais plus résistante que cela!"
Comme sa voix est moqueuse!
La naine est trop faible, ou pas assez bien réveillée, pour saisir l'ironie dans la voix de Gelb. Elle déglutit.
"Qu'est-ce qui s'est passé... Où sommes-nous ?"
La Draenei sourit bizarrement
"Je t'ai tuée."
La bouche de la naine fait un petit "oh" de surprise, puis ses yeux s'agrandissent d'horreur alors qu'elle est frappée de plein fouet par ce qu'implique cette dernière phrase. Elle cherche alors sur le visage de la draenei des marques de décomposition dont son corps, après tous ces jours passés en terre, aurait du se faire l'écho. Mais il n'y a rien. Elle est aussi belle qu'à leur première rencontre devant le monastère écarlate.
"T... Tu étais morte... Oh par la Lumière..."
Ses derniers souvenirs reviennent alors dans sa mémoire embrumée... Sa fuite, son combat, son agonie. Elle craint la réponse, mais ne peux s'empêcher de poser la question suivante :
"Qu'est-il arrivé ensuite?"
"Tu veux dire que tu ne t'en rappelles plus?... Et bien comment dire? Ce cher Baron Vaillefendre t'as fait un petit cadeau et a fait de nous ses mignons, tu sais le genre qui pue la mort et la pourriture. "
Gelb sourit en pensant d'avance à la réaction de la naine
"Tu ne trouves pas que tu sens bizare?
Prunille n'essaie pas de se relever. Elle est encore faible, mais ses forces reviennent doucement. Ses yeux quittent la draenei et balaient la pièce. Elle est sombre, éclairée par quelques pauvres bougies dont les flammes tremblotantes jettent des ombres inquiétantes sur un décor de cauchemar : des ossements, des crânes, des visages torturés ornent les murs de pierre. Et il y a toujours ces bruits : armes qui s'entrechoquent, litanies, cris d'agonie... Elle est sur le point de répondre à Gelb quand elle le sent.
C’est comme une chape de plomb qui s'abat sur ses épaules, comme si un géant l'avait attrapée dans sa main énorme et tentait de l'écraser. Elle grimace, semblant souffrir le martyr, et fait la seule chose possible pour une naine courageuse et volontaire comme elle : elle résiste, de tout la force de son esprit. La main du géant est sans pitié, et la naine a à la fois l'impression de tomber dans un abîme sans fond, et d'être broyée.
Pour la draenei près d'elle, elle semble se tordre de douleur sur sa couche. Mais pour la naine, l'expérience est tout autre, complètement détachée de son corps physique, c'est à son esprit, à son âme qu'on s'attaque. Tout est noir autours d'elle, un froid mordant l'envahit. Elle se recroqueville pour reprendre des forces, et c'est alors que la voix se fait entendre, grave, triomphante:
"Colère..."
C'est lui qui essaie de la dominer. Elle ignore qui, mais c’est sa voix, sans aucun doute possible. Il n'y a qu'eux deux ici, peu importe de quel endroit il s'agisse.
"Cruauté..."
Ses forces reviennent... Mais cette fois, elle n'attendra pas trop, comme à Stratholme. Elle se redresse, repoussant mentalement cette force inconnue. Elle prie la Lumière en silence, mais pour la première fois depuis qu'elle a été ordonnée prêtresse, elle ne ressent pas la présence bénéfique.
"Vengeance..."
Elle est seule pour lutter, contre le plus formidable adversaire qu'elle n'a jamais du affronter. L'être utilise une force mentale brute, contre laquelle elle ne peut que plier pour ne pas rompre... Mais dans toute cette violence, elle ne sent aucune subtilité. Il veut juste broyer son esprit, imposer sa volonté, et aucun doute sur sa capacité à le faire ne l'habite. Alors, elle plie encore un peu, et laisse couler autours d'elle toute cette énergie, accompagnant le flot, mais sans céder.
"Tout ce que je suis, je t’en fais don, toi que j'ai choisie. Chevalier, je t’ai octroyé l’immortalité afin que tu deviennes le héraut d’un nouvel âge, un âge de ténèbres, l’âge du Fléau "
Prunille se détend, et rouvre les yeux. Elle sent la volonté du Roi-Liche tout autours d'elle, mais elle est libre. Elle regarde Gelb.
"Je ne sens plus la Lumière... Il n'y plus que... Lui."
Gelb savoure en silence la torture mentale de son amie. Depuis qu'elle est sous les ordres du Roi-Liche la seule joie qu'elle éprouve était dans la souffrance des autres. Quelle ironie! Elle qui a toujours fait preuve de douceur dans la vie se retrouve cruelle dans la mort. Mais après tout cela ne la surprend guère.
"Oui, Lui.... Tu t'y habitueras et tu verras qu'il n'est pas toujours autant présent...tant que tu accomplis sa volonté."
Les paroles de celle qui était son amie, qui avait permis de sauver son frère, ne la rassurent pas le moins du monde. Elle va devoir faire preuve de prudence dans ses actes et dans ses paroles, pour ne pas se révéler. Et puis, elle sent toujours cette volonté... Si elle n'y prend pas garde, la sienne risque de céder. Va-elle pouvoir dormir à nouveau, sans craindre de se réveiller en tant que pantin du roi-liche?
Ses forces lui sont suffisamment revenues pour lui permettre de se relever. Prunille s'assied sur sa couche. Le monde vacille un instant, puis se calme. Mais il y a quand même quelque chose, comme un ballotement léger qu'elle prend d'abord pour un étourdissement de sa part. Puis, elle se rend compte que toute la pièce bouge légèrement.
"Où sommes-nous? Sur un navire ?"
"Vais-je devoir tout t'expliquer à chaque fois que tu fais un pas, ou bien tu vas te décider à accepter ce que tu es devenue et ouvrir les yeux?"
La voix de la draeneï est à la fois chaleureuse et glacée. Il y a une part d'elle même qui savoure la détresse de la sœur de Durandill. Mais il reste un morceau qui s'accroche à ses anciennes valeurs. Elle hausse les épaules. Lutter ne sert à rien, au contraire c’est plutôt douloureux...Elle attend que Prunille ait fini par accepter la dure réalité de ce qu'elles sont devenues.
Les paroles de Gelb horrifient la naine, mais elle tente de garder un visage impassible. Les conséquences s'abattent sur son esprit les unes après les autres. Ses amis, ses sœurs, son frère... Les reverra-t-elle un jour? Cela lui fait peur, mais la met en colère aussi. Elle use de cette colère pour répliquer sèchement à Gelb :
"Je sais ce que je suis."
Ce n’est pas tout à fait vrai. Elle s'en doute seulement, elle le redoute aussi.
"Et ce n'est pas ce que je t'ai demandé."
Elle se rend compte qu'elle vient peut-être de commettre une erreur, que son nouvel état aurait peut-être du lui révéler la nature de ce lieu, si elle s'était laissée submerger par la volonté maléfique, et qu'en affichant son ignorance... Elle chasse cette idée, masse rapidement ses membres endoloris et se lève. Elle vient de se souvenir des descriptions que son frère lui avait faites de ses combats dans la nécropole de la liche. Sa pensée poursuit son chemin dans les méandres de sa mémoire... Naxxramas... Une nécropole... L'attaque du fléau. Elle reformule sa question. Naxxramas est partie pour le Norfendre, remplacée par bien d'autres qui ont attaqué partout dans le monde. Ca lui donnera peut-être une idée sur sa position.
"Une nécropole... Est-ce Naxxramas?"
Gelb soupire.
"Ecoute-moi alors parce que je ne te le dirais qu'une fois et qu'ensuite il nous faudra nous présenter devant le général Mograine.
Nous somme à bord de l'Achérus, une nécropole du roi-liche qui surplombe les Maleterres de l'Est. Tu es morte et vivante. Le Baron Vaillefendre a fait de toi un Chevalier de la Mort. Non! Ne m'interromps pas!
Maintenant tu lui dois obéissance à lui ainsi qu'au Roi-Liche."
Croyant deviner les pensées de Prunille, Gelb rajoute, non sans plaisir.
"Et avant que tu ne commences à pleurer, oui, tu es devenue tout ce que ton frère a juré de combattre. OUI tu dois obéir au Roi-Liche. Et OUI, ton frère te tuerait s'il t'apercevait!"
Prunille écoute Gelb, tentant de rester impassible. Pleurer? Gelb exagère, elle n’est pas une pleurnicheuse. Elle a traversé la moitié d'un continent pour retrouver son frère. Est-ce le genre de mépris que les élus du Roi-Liche sont sensés afficher envers autrui ?
"Ainsi, nous sommes toujours aux Maleterres." La naine observe la tenue de son amie. Une lourde armure de plaque à l'allure sinistre. Sur le sol, près du lit, se trouve la même, mais selon des proportions plus adaptées à une naine. Prunille sait ce qu’il lui reste à faire : elle ramasse les pièces d'armure, une à une, et les enfile. Elle tend le plastron à Gelb.
"Aide-moi, veux-tu."
Elle pense à son frère Durandill. Mais aussi à la façon dont Gelb a prononcé ces dernières paroles. "Oui, tu dois obéir au Roi-Liche. Oui ton frère te tuerait." Comme si ce genre d'argument avait du poids, alors qu'elles sont sensées être toutes les deux sous l’emprise du maître du fléau. Elle se demande ce que cela signifie.
Trop de choses à la fois… Elle ne doit pas se laisser aller, elle est une Wildhammer. Elle accepte, simplement, ce qui lui arrive. Il sera toujours temps de faire le point plus tard.
Une fois prête, elle se tourne vers Gelb.
"Allons voir ce général."